Aller au contenu | Aller au titre | Commentaires

Pamphlets


Corridor

Le long corridor

Il est des questions qui obsèdent, qui durent et qui malgré tout, semblent ne jamais devoir trouver de réponse unique, comme une vérité universelle qu'aucun ne serait en mesure de contredire. La mienne, la nòtre, celle de toute une race, interpelle par sa dimension mystérieuse qui semble porter atteinte à ce que nous avons de plus cher après notre vie : notre liberté. Cette question est la suivante : y a t-il un destin ?
On a bien souvent entendu proclamer des formules pompeuses, bouffies d'orgueil et de suffisance, suintant la justesse comme un porc arrive tout naturellement à sentir la rose. Pour ma part je ne crois pas qu'il suffise d'affirmer à tout malentendant qui veuille bien écouter que ce bon vieux bipède couillu est fondamentalement maître de son existence. C'est le propos de ces quelques lignes, au fil desquelles je vais tenter de vous faire partager ou, au pire, de vous exposer ma vision de l'existence de cet être dont la légitimité a bien des occasions d'être remise en cause.
Pour ne pas prendre de détour, je commencerai en affirmant qu'il y a effectivement une prédestination de l'homme. "Tu eres tu destino" proclamait avec insistance une phrase clé d'un vieux film espagnol : tu es ton destin. Ceci n'est pas entièrement faux, il manque simplement un mot, qui, aussi misérable soit-il, donne tout son sens à cette conjecture humaine. Ce petit mot, c'est presque. Car si nous ne sommes pas maîtres de notre devenir, il nous reste encore l'ineffable fierté de pouvoir influer sur son cours. Voici donc ma représentation personnelle de la situation de l'homme : la vie se résume à long corridor dont le bout n'est visible qu'au crépuscule de nos misérables vies. Ce long couloir est jalonné de portes dont certaines sont ouvertes et d'autres fermées. Il ne nous reste que le choix de pousser le battant qui n'est pas verrouillé, une fausse liberté, un mirage qui renferme à lui seul l'histoire de l'humanité.
Tout nous est permis dans ce couloir, dans la mesure où l'on ne franchit que les seuils vers lesquels nos pas furent programmés avant même que nous ayons commencé d'exister. Ainsi ces possibles avenirs autorisés ne se comptent pas par centaines, en fait, il n'y a derrière chaque porte, qu'une petite pièce où celui qui n'existe pas, cet ordonnateur invisible, a placé un bonus pour agrémenter notre court séjour terrestre. Cette autre salle offre, elle aussi, de nouveaux seuils à franchir avec, de l'autre còté, une nouvelle version de la pièce d'où l'on sort. Mais le chemin disponible à l'écart du corridor principal est limité, et s'il nous est donné d'accéder à une piste qui ne nous est pas destinée, c'est pour mieux nous enseigner les bienfaits de l'erreur. On peut, comme on l'a souvent fait depuis que l'homme est homme choisir d'oublier cette incartade et réitérer la bêtise.
Pour quelle raison recommencer ? Autant essayer d'expliquer pourquoi un chiot peut passer des heures à essayer de se mordre la queue...
A partir du moment où l'on s'est fourvoyé, il existe une alternative : reprendre la route le long du grand couloir ou tâcher de forcer les portes qu'on n'aurait même jamais dû entrevoir.
En résumé, derrière chacune des portes du corridor attend une pièce à bonus ou une autre, dans laquelle on n'aurait pas voulu vous voir vous attarder. Seuls ceux qui reviennent faire quelques longueurs supplémentaires sur la ligne d'origine verront se profiler, à force de patience, la raison pour laquelle la loterie de la vie leur a été favorable. Les autres finissent par s'égarer du mauvais còté du destin en poursuivant une chimère que leurs pairs décrivent comme le seul but noble de toute vie.
Il reste ceux qui, perdant patience, tentent d'apercevoir plus vite le bout du couloir avec l'aide de gens compréhensifs comme Smith et Wesson ou Colt.
Nos pas sont guidés, comme aimantés vers un pòle d'attraction n'appartenant qu'à chacun de nous et trouvant une réalité unique au fond de notre seule âme. Il est inutile de demander à quelqu'un d'autre de chercher à comprendre. Il est vain de vouloir absolument faire accepter une vérité universelle. La vérité n'est pas un concept imposable à tous comme un modèle infalsifiable. Cette vérité repose en chacun de nous, avec chaque fois, la marque personnelle de l'âme en qui elle existe.



© LAFFREUX 1996


COMMENTAIRES Commentaires
sceau
Compteur

Valid XHTML 1.0 Strict