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Pamphlets


Divergences

Le portable

L'épineux problème du portable, bien que très présent, n'est plus le noyau d'énervement du français réactionnaire. La colère, l'agacement de nombre d'anti-mobiles se sont émoussés et l'on trouve à ce jour moins matière à discourir sur l'amusant objet. De fait, celui-ci est entré dans les mœurs de la plus grande partie de nos contemporains. Il reste bien entendu les éternels agacés, qui n'ont de cesse de constater l'inénarrable bêtise de certains utilisateurs, à ceux-là je dirai simplement : trop tard pour changer le monde, plus temps pour crier au scandale.
Car il faut admettre que les pouvoirs publics ont beaucoup œuvré pour éliminer la gêne due à cette nouvelle technologie. Et c'est là qu'il faut crier au ridicule.
Comme un enfant avec un nouveau jouet, monsieur tout le monde ne vit que par son portable. Et c'est à force de lois et d'amendements qu'on a finalement pu calmer la frénésie.
Mais on ne peut s'arrêter à une généralité sur les possesseurs de portables. En effet, trop de divergences opposent tous ces gentils nomades.
L'utilisateur classique, lui, oublie bien souvent d'allumer son appareil, ce qui lui vaut les remontrances de ceux de ses amis auxquels il a communiqué son numéro d'appel. Celui-là, peu ou pas dépendant, s'évite les situations à risques en coupant le jus dès lors que le ridicule pourrait le disputer au grotesque.
Viennent ensuite les toxicomanes de la communication. Changeant de portable régulièrement, abonnés depuis la nuit des temps, ils n'ont de cesse de contempler le musical outil, dans l'attente de la miraculeuse sonnerie. Et là, rien que le fait de les regarder vivre avec leur manie peut soit pousser à bout les plus tempérés, soit provoquer chez les plus neutres d'incompressibles fous rires. Ceux-là, depuis bien longtemps, ont perdu une notion simple, celle du respect. Ainsi va sonner l'horripilant engin ("Haribo c'est beau la vie", tintinnabule la bestiole) alors que le film commence, dans la gentille communion silencieuse des cinéphiles. Le respect se perd, la notion de gêne n'existe plus. Alors bien le bonjour à vous messieurs les égocentriques maniaco-communicatifs de la nouvelle ère technologique, mais que diriez-vous d'être censés ou intelligents (j'en demande trop ?) pendant la misérable durée de la séance ? Le portable faisant partie de vous-même, je conçois que vous alliez jusqu'à l'oublier, mais considérez de nouveau que vous vivez dans un environnement, avec tout ce que cela implique en matière de conventions sociales. Faudra-t-il en arriver à procéder à une fouille corporelle avant l'entrée en salle pour s'assurer du mutisme de la bête ? Mieux, faudra-t-il interdire l'entrée du portable dans les cinémas pour qu'enfin vous réagissiez ?
Il reste encore à parler des amis de la cité. Pour ceux-là le portable a la même fonction qu'un survêtement Adidas. Vecteur de valorisation, car la possession est synonyme de pouvoir, le téléphone se veut de taille ultra réduite et bien sûr, en haut de la gamme. Et s'il est tombé d'un camion, c'est encore mieux !
A ceux-là il est vain de demander du respect, ils n'en n'ont que pour eux-mêmes et pour ceux de leurs semblables qui sont plus imposants qu'eux. Sur cette catégorie de gens, on touche à un problème qui tient de l'oxymore. En effet, le mobile est l'outil de reconnaissance sociale, mais il convient d'en réduire la taille et d'éviter de le porter à la ceinture. Car l'exhiber est le privilège du blaireau, du beauf', du Jacky...
Mais voilà, si le regard des autres vous effraie à ce point, pourquoi vous déguiser en médecin (tous vêtements blancs) et vous visser une casquette sur le crâne, quand ce n'est pas une feuille de salade (l'ignoblissime bob) que vous vous enfoncez jusque sur le nez ?
Vous ignorez la chance que vous avez, quand on rappelle que le ridicule ne tue pas. Si le grotesque était une guerre, vous seriez, au front, la première vague d'attaquants, une vague de grande qualité qui plus est.
Puis on verrait arriver en renfort les maniaco-communicatifs, couverts par les anti-portables cependant possesseurs de portable. Finalement on vit dans un monde pas très sérieux mais bourré d'humour. A-t-on déjà vu autant de gens, d'horizons si différents, se foutre délibérément de leur propre gueule et en redemander ?
En fait elle existe la boîte à con. Mais qui possède qui ?



© LAFFREUX 1996


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