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Un passant pensif et pressé qui marche droit devant lui en regardant vaguement ce qui l'entoure. L'inévitable
rencontre a soudain lieu il passe devant un café. Il regarde les gens qui sont à l'intérieur pendant que ces
derniers le dévisagent, un verre à la main. Des deux còtés on se demande pourquoi l'autre se trouve là. Lui,
qui emprunte tous les jours le même trottoir, s'interroge sur ce qui attire ces gens, chaque jour les mêmes,
en cet endroit si froid qui paraît n'appartenir qu'aux habitués. C'est un commerce, et pourtant la vitrine
est froide et peu accueillante malgré la musique, les éclairages et les couleurs criardes des bouteilles de
combustible de table. L'étranger sur le trottoir n'a pas la moindre envie d'entrer, il voudrait simplement
échapper à ces regards noirs et inquisiteurs qui le fusillent à distance. S'il entre, il aura commencé la
bataille. S'il commande, il prendra l'avantage, et s'il revient demain, il aura gagné la guerre. Il fera partie
de ces gens, le verre à la main, qui scrutent l'asphalte et le granit du dehors, attendant un autre passant pour
que leurs yeux fatigués et inactifs aient quelque chose de neuf à regarder.
Mais il ne veut pas entrer, il ne veut pas partager du vide avec des inconnus dont la compagnie ressemble au néant.
L'endroit est fréquenté, et pourtant, en se penchant plus près, il semble vide, noir, rempli uniquement de ce qu'on
peut y apporter.
Il sait que derrière la couche de "tape-à-l'oeil" bruyante et colorée n'existe qu'un vide que l'on comble jour après
jour avec le même mortier. Les habitués, maçons d'un jour, tentent de colmater leur propre inconsistance. Le café ne
contient que ce qu'on est en mesure de lui apporter un peu de soi-même (qu'on oublie en repartant) et beaucoup de son,
portefeuille, qui sera toujours assez plein pour noyer la morosité de son existence dans un océan de leurres qui vous
laissent la bouche en feu. Encore une gorgée, puis le vide sera total. Le cafetier se frotte les mains tout en baissant
le rideau de fer. Il est tard, le néant a été suffisamment lucratif pour aujourd'hui.
© LAFFREUX 1996