Aller au contenu | Aller au titre | Commentaires

Pamphlets


Juste un lundi

Le fumeur

Planté là sur ses deux pieds, la cigarette à la main, presque enraciné dans le goudron et refusant obstinément, quel que soit le temps, d'entrer dans le bâtiment avant d'avoir terminé de s'intoxiquer nerveusement et entendu la cloche sonnant le rassemblement de ce troupeau de lycéens au cerveau embrumé par une fatigue qui n'est pas encore dissipée mais surtout par les volutes de fumée du tabac qui se consume et consume leurs vies, le scolaire attend, comme chaque jour, que vienne l'heure de se traîner bruyamment jusqu'à la salle de cours.
C'est un lundi matin comme tant d'autres et l'on ne tarit pas de précisons infinies sur ces deux jours passés sans cours, ponctués de soirées remplies selon le modèle "jeune".
La sonnerie vient briser le murmure des discussions matinales, il est l'heure d'investir les locaux que l'on fuyait jusque là. En ce début de matinée, l'attention n'est pas au rendez-vous "trop de fatigue, pas terminé de raconter mon week-end...", elle n'y sera probablement jamais ou accidentellement, brusquement rappelée par la voix grondante de cet homme qui s'agite devant le tableau en essayant de capter l'attention de cette masse ahurie par la vitesse d'une matinée qui avait commencé si lentement.
Les yeux s'écarquillent à la lecture d'une montre qui indique une heure que l'on croyait dépassée. Le temps qui semblait s'enfuir auparavant a soudain ralenti sa progression, comme pour s'arrêter totalement et déjà les esprits n'ont qu'une image en tête, qu'un son que leur oreille agacée essaie de deviner dans les moindres craquements des bâtiments vieillissants. Cette image, c'est celle d'un bâtonnet incandescent s'agitant dans l'air empli d'une brume à l'odeur de tabac, ce son, c'est celui de la cloche marquant la pause tant désirée.
La masse sombre se rue à l'extérieur, le murmure reprend et se fait plus intensif, le lycée vient de se vider d'une traite, comme la chope de bière d'un homme que l'alcool n'effraie plus.
Dans quelques minutes le grondement qui emplit maintenant l'école se fera plus prudent, moins insistant. Toujours ce nuage blanc et entêté qui s'élève et se dissipe au gré d'un vent trop léger pour éliminer l'odeur persistante de ces volutes incessantes. Encore une fois la sonnerie met fin à l'interminable manège du troupeau qui se dirige d'un pas lourd, la tête basse, vers la salle où un autre homme va bientòt s'agiter devant le même tableau, avec la même voix grondante.
La journée se passe dans l'attente de la fin du cours, de la fin de la journée. Le gong de fin de match retentit et la horde de boxeurs s'enfuit vers les portes de la liberté. Le lycée est vainqueur par abandon mais le match reprendra demain, mardi. A moins qu'on ne soit tous les jours lundi.



© LAFFREUX 1996


COMMENTAIRES Commentaires
sceau
Compteur

Valid XHTML 1.0 Strict