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Un chalutier fumant, crachotant et tanguant
S'anime doucement dans la pâleur iodée
D'un petit port de pêche que les flots battent, narguant.
C'est un rite matinal, un ballet bien rôdé.
Certains quittent leur dame, d'autres ne laissent personne...
Sur le quai endormi avant que l'heure sonne.
Dans un nuage noir aux reflets luisants d'huile
Le bâtiment marin tombe encore ses attaches
Et s'éloigne des rives escorté par les mouettes
Tandis que sur la terre restent des ombres muettes
Observant le rafiot qui, trop loin, devient tâche,
Point mouvant qui se fond dans la lumière fébrile
D'un matin de septembre trempé aux fins embruns.
L'horizon est désert... vidé du bateau brun.
Ah ! la drôle de frontière ! Qui sépare ces gens
Que leur vie pousse encore à se dire au revoir.
Mais il faut repartir, la mer est leur devoir
Et l'océan, parfois, se révèle indulgent.
Las ! Mais pas cette fois ! La grande bleue, ce soir
En veut à nos marins, jamais avares d'espoir.
Et la nuit les ballotte ; de la cale jusqu'au pont
Gémit la coque en fer de l'esquif rubicond.
Pas de peur en cabine, pas de crainte à la barre
Chacun revoit déjà les bittes et les amarres,
les filles soulagées venant les accueillir,
Quand rien ne garantit qu'ils vont en revenir.
Bulletin météo : les épouses croient mourir
Quand l'avis de tempête a le son du tocsin.
Tant de heurts, de douleurs, et tant de fois le pire
alors que sur le quai, blêmes jusqu'au matin,
attendent dans l'angoisse ces femmes courageuses
qui ont prêté leurs hommes à cette fille orageuse.
A l'injuste récif s'ébrèche le navire
Ces visages inquiets semblent trop émaciés.
Et les noms des pêcheurs, noyés dans la fureur,
gravés dans les abysses sur des coques d'acier
que le soleil jamais ne caressera plus
sont livres oubliés reliés par des chaluts
qui n'effraient plus les thons et n'attirent plus les mouettes.
Disparus les marins, sur leur frêle goélette.
Effondrées les familles, déchirées sur les quais
Tandis qu'ailleurs déjà un autre est déjà prêt :
Un nouveau chalutier, un nouvel équipage
Une autre ville aussi et... un autre naufrage ?
© LAFFREUX 2000