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Prose


Un p'tit bonhomme

Un petit bonhomme

C'est l'histoire de quelqu'un qui n'attendait pas grand chose de la vie, sinon qu'elle n'en n'attende pas trop de lui. Il avait beau essayer, il ne comprenait pas pourquoi son voisin se comportait aussi bêtement. C'était un petit bonhomme qui avait vu trop d'images de ses contemporains consommant la société moderne d'une façon aussi moderne que possible. C'était chaque fois trop pour lui, il ne comprenait vraiment pas.
Tout ce qu'il voulait, c'était que les choses changent, qu'on fasse un peu attention à lui. Il n'exigeait rien, ne demandait pas grand-chose et espérait seulement autre chose, mais c'était déjà trop demander à ces gens dont il ne comprenait décidément pas les motivations. Ces gens là n'avaient que faire de savoir d'où ils venaient, tout ce qu'ils savaient, c'est qu'ils allaient s'amuser et c'était ce que ce petit bonhomme n'arrivait pas à comprendre. Il savait pourtant que s'amuser était agréable, mais il ne trouvait rien d'agréable dans les façons dont ses comparses s'amusaient et dans lesquelles il ne pouvait absolument pas deviner ne serait-ce qu'une once de réflexion ou d'humanité. Bien sûr, il n'avait rien de bien différent des autres, il se confondait dans la masse, la suivant parfois, mais n'y adhérait jamais. Il se faisait souvent oublier, se demandant parfois si l'on savait qu'il existait. Ce qu'il détestait par-dessus tout étaient ces plaintes et ces chuchotements que ses contemporains affectionnaient tout particulièrement. Il ne pouvait trouver un quelconque intérêt dans les discussions dans lesquelles il se trouvait parfois impliqué. C'était juste un p'tit bonhomme auquel on avait trop vite donné vingt ans, en pensant que ça lui ferait chaud au coeur. Il n'avait pas chaud au coeur, pas même un peu. Il sentait juste, sous sa poitrine, un organe malade de ce qu'on lui faisait endurer, prêt à vomir son dégoût et son mal être, Il sentait son coeur comme une personne ayant la nausée, qui voudrait se soulager mais qui n'y parvient pas. Plus il observait ses comparses, moins il comprenait leurs agissements, et, de déceptions en déceptions, il finit par comprendre ce qui jusqu'alors était pour lui comme un trou noir. Il comprit que sa vie, aussi longue fut-elle, ne verrait jamais l'homme changer. Il savait l'homme ne change pas, il évolue.
Plus il avançait et plus il apprenait ce qu'il aurait voulu ne jamais savoir, il entendait mais aurait voulu ne pas écouter, il voyait ce que ses yeux auraient voulu ne pas apercevoir. Il n'apprenait que ce que son esprit avait déjà imaginé en préférant se tromper sur la réalité des choses. Il vit qu'il avait tort d'avoir cru n'avoir pas raison.
Ce petit bonhomme a fini par mourir, étouffé par l'incompréhension et par ce vague à l'âme qu'il ressentait chaque jour un peu plus. Il est mort mais il s'était fait oublier et personne ne s'est aperçu de son absence. Il s'en est allé sans faire de bruit. Il avait choisi d'être, parmi toutes ces apparences qu'il croisait chaque jour et il a fini par s'éteindre, soufflé par l'inhumanité de l'homme. Ce petit bonhomme a laissé la place à un autre qui s'attriste parfois du décès silencieux qui vient d'avoir lieu, ce petit bonhomme, vous le connaissez, mais y avez-vous seulement prêté attention ?



© LAFFREUX 1996


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