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Prose


Une vie

Le réveil matin

L'obscurité, le silence, le calme d'un jour naissant soudain troublé par l'ignoble et retentissante sonnerie du fatidique réveil. Le même geste sans cesse répété un bras s'allonge vers le réveil, une main cherche à tâtons le bruyant appareil, un doigt habitué fait cesser le supplice matinal quotidien. Pas un bruit, pas une parole, juste une lampe qui s'allume pour que le sommeil quitte ce corps engourdi par la douce chaleur du lit qu'il va devoir quitter.
Il se lève sans empressement, repousse les draps s'ils ne sont pas déjà à terre. Commence alors une journée ressemblant à s'y méprendre aux précédentes. Les jours s'enchaînent banalement, douze heures et plus occupées de la même manière. De longues heures si identiques les unes aux autres qu'elles semblent chaque jour sans lendemain.
Il prend sa voiture, il se dirige vers son quotidien. La même route, la même vitesse, les mêmes gestes, la même expression sur ce même visage obstinément pareil à lui-même.
Il a passé sa jeunesse à se fabriquer cette vie, on appelle a réussir. Il a travaillé pour travailler et il s'est modelé des repères qui lui permettent de faire d'une vie qui pourrait être pleine de surprises, un enchaînement de journées sonnant comme la voix d'un enfant récitant sa leçon.
Pas de surprise, aucun risque que celui de perdre cet emploi si chèrement gagné synonyme de sécurité financière. On lui avait appris à penser, à manier sa langue maternelle d'une façon correcte. On voulait lui donner le goût des mots et il y a préféré la dégradation d'une vie répétitive. Il avait une passion, il n'en n'a pas fait son métier il travaille par obligation, pour exister dans un recoin de la société. Il a oublié cette passion qui fut jadis le moteur de sa vie, sa raison d'être. Il n'utilise ses facultés mentales que pour travailler ou pour discuter avec ses amis, il ne pense pas à cet immense potentiel qui sommeille en lui. La magie des mots bien agencés lui importe peu, il laisse cet esthétisme grammatical aux gens qui en font leur métier. Il travaille chaque jour et n'agence les mots que pour produire des documents d'une inesthétique et d'une tristesse dont il n'a que faire. A quoi bon chercher à tirer la magie des mots? Ici on travaille, il n'y a pas de place pour le rêve.
C'est ce que l'on appelle "une vie".



© LAFFREUX 1996


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